Diamantaire de formation, comment votre passion de la photographie est-t-elle née ? A quel moment avez-vous décidé de descendre dans la rue ?

Oh de façon très banale. Étant parisien je n'avais pas d'autre choix que de photographier la rue, tout comme un habitant de Saint-Malo aurait photographié la mer et un habitant de Chamonix, la montagne.

Au fil du temps j'ai réalisé que cette démarche s'inscrivait dans une tradition photographique ancienne: la street photographie. Qu'elle avait ses maîtres , ses disciples et comptait nombre de photographes illustres. Ça a été une révélation, je me suis senti faire partie de cette "famille", d'être l'un des leurs.

À partir de cet instant j'ai voulu tout savoir sur cette discipline qui tient une place à part dans la Photographie. J'ai acheté des livres, j'ai lu, je suis allé à des expositions, j'ai regardé des milliers de photos, j'ai perfectionné ma pratique, aiguisé mon regard. Tout cela s'est fait naturellement.

Savoir que des photographes illustres, dans d'autres villes, sur d'autres continents, à d'autres époques, avaient eu la même démarche que moi, avaient remarqué les mêmes choses, avaient photographié les mêmes gens, avaient réussi ou raté les mêmes photos, m'a beaucoup aidé au début dans les moments de doute ou de découragement.

Quelle est votre démarche artistique ? Comment définiriez-vous la "street photographie" ?

Je ne me considère pas comme un artiste par conséquent je n'ai aucune démarche artistique. Comment peut-on se prendre pour un artiste quand son "temps de création" est de 1/125 ème de seconde ?

Je ne cherche pas à faire de " jolies images", photographier honnêtement la simple réalité des choses est déjà suffisamment difficile.

Je ne sais pas si il existe une "bonne" définition de la street photographie. Je suppose que chaque photographe à la sienne.

J'ai envie de répondre par une phrase d' Hervé Chandès, Directeur de la Fondation Cartier pour l'Art contemporain, qui a dit à propos de Raymond Depardon :

"Il fait des photos que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait".

Pour moi la street photographie se rapproche beaucoup de cette définition.

Quand on me demande pourquoi j'ai pris en photo telle scène ou telle personne, très souvent je réponds: " Parce que sinon personne ne l'aurait prise ".

Il y a toujours, sous jacente chez moi, cette pensée: " Si tu ne prends pas cette scène en photo personne ne saura jamais qu'elle a eu lieu".

Être street photographe c'est comme faire un puzzle: chaque pièce prise séparément peut sembler ne rien représenter du tout, mais des centaines de pièces placées les unes à coté des autres dévoilent tout un paysage, lisible et cohérent.

Ce sont les centaines de photos de Viviane Maier ou de Garry Winogrand réunies dans un livre ou une exposition qui nous font entrevoir la vie à Chicago ou à New York au milieu du XX ème siècle.

Peut être qu'avec mes images je contribue modestement à la mémoire du Paris du début du XXI ème siècle ? L'avenir le dira.

Photo-reporter en milieu urbain par excellence,
- En quoi le spectacle de la rue vous attire, vous fascine… vous inspire-t-il ?
- Quand/comment saisissez-vous l'instant décisif, pour prendre votre photo ?


Quand on parle du "spectacle de la rue" c'est une image facile, en réalité il ne se passe rien de spectaculaire dans la rue la plupart du temps. C'est le photographe qui, en fonction de sa sensibilité, de l'intérêt qu'il porte ou non aux gens, aux choses, aux lieux, va prélever une part d'extraordinaire dans tout cet ordinaire.

Derrière chaque appareil photo il y a un homme. Je crois sincèrement que l'on fait les photos que l'on est.

L'idée qu'a émise Garry Winogrand dans sa célèbre phrase : " Je fais des photos pour voir à quoi ressemblent les choses une fois photographiées" est d'une honnêteté et d'une profondeur inouïe, elle est au cœur de la démarche des photographes de rue, même de ceux qui n'en ont pas conscience.

On fait tous des photos pour avoir le plaisir de découvrir à quoi peut bien ressembler, une fois matérialisé par une image sur un papier, ce qui n'a été parfois qu'une sensation, une impression, un ressenti. Pour laisser une preuve éternelle de ce que nos yeux n'ont vu qu'une fraction de seconde.

C'est une sensation inexplicable que de se dire: "Ce qui est là, sur ce papier, a bien existé et c'est toi seul qui l'a vu ".

Sabine Weiss a eu une belle phrase à ce sujet : " Je photographie pour conserver l'éphémère, fixer le hasard, garder en image ce qui va disparaître ... "



La rue certes, dans vos séries nous observons également une prédominance de portraits…
- Quelle est la place de l'homme dans votre oeuvre ?
- A votre avis, quelle est la place de l'homme dans la ville… et plus précisément dans une capitale, à Paris ?


Cette question à elle seule est un sujet de bac philo et ce jour-là les élèves ont quatre heures pour répondre. Je vais donc faire plus court :-)

Je photographie des gens dans la rue mais je ne réalise pas de portraits à proprement parler. Qui dit portrait, dit pose et absence de spontanéité donc ça ne m'intéresse pas beaucoup.

L'homme est au cœur de la street photographie. Ouvrez n'importe quel livre consacré à un street photographe et vous constaterez que 90% du bouquin montre des hommes, des femmes et des enfants. Je ne suis pas différent des autres.

Il resterait quoi à photographier dans une ville si on enlevait les hommes ? des devantures de magasins, des arbres, des bancs, des monuments ...

En fonction de leurs vêtements, de leur allure, de leur âge, de leur sexe, de leur couleur, du quartier où ils se trouvent, les hommes racontent la ville bien mieux que le mobilier urbain ou la marque des voitures.

Quand on regarde la photo du petit garçon avec ses deux bouteilles de vin sous le bras, de Cartier-Bresson, on sait immédiatement que l'on est à Paris dans les années cinquante. Pourtant rien sur la photo ne l'indique.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre histoire d'amour avec Paris ?

Ce n'est pas une histoire d'amour car dans une histoire d'amour il y a une rencontre, un coup de foudre et cela se termine parfois par une rupture, or moi J'habite Paris depuis presque quarante ans, c'est ma ville, c'est chez moi. Je l'aime de façon évidente , parce que je ne saurais pas vivre ailleurs. J'aime et j'ai besoin de ses odeurs de gaz d'échappement, de Mac Do et de camions poubelles donc vous voyez, c'est irrécupérable.

Vous arrive-t-il de sortir dans la rue… SANS votre appareil photo ?

Non. Les très rares fois où j'y suis obligé c'est un supplice, je vois des photos à faire à chaque coin de rue et je me sens tout nu et impuissant.



Quelles sont vos influences, vos "maîtres à photographier" ?
Parmi eux, pouvez-vous nous parler des 2 maîtres de la photographie de rue américaine, actuellement à l'affiche de 2 expositions à Paris: Garry Winogrand et Willian Eggleston.
En quoi leur travail vous-a-t-il inspiré ?



Mes influences sont indéniablement les photographes américains des années 1930 à 1970: Robert Frank, Saul Leiter, Helen Levitt, Vivian Maier, Gary Winogrand ... Et beaucoup d'autres. Des gens simples qui arpentaient les rues de leurs villes pour tenter d'en capter l'âme, sans plan de carrière, sans soif de reconnaissance immédiate, sans arrière-pensées commerciales.

Concernant Wynogrand et Eggleston, Les deux, chacun à sa manière, ont eu une importance capitale dans ma façon de voir la street photographie car ils m'ont fait prendre conscience que tout, absolument tout est une photo possible, qu'il n'y a pas des sujets "nobles" dignes d'être photographiés et des sujets qui ne méritent pas un regard.

Comme beaucoup de français mon univers photographique se limitait aux photos célèbres de Doisneau, Ronis ou Cartier-Bresson : des photos en noir et blanc, assez classiques, bien cadrées, parfois mises en scènes.

Alors quelle claque quand j'ai découvert l'énergie, la vitalité et presque la folie qui se dégagent des photos de Winogrand ! La multiplicité des sujets, des cadrages, ce non-respect des règles photographiques établies, cette frénésie qu'il avait à prendre des photos et que l'on ressent en les regardant.

Eggleston quant à lui fait des photographies plus maîtrisées techniquement mais ses couleurs jamais vulgaires subliment la banalité des choses, il montre que la beauté est partout, dans les choses ordinaires, dans les objets du quotidien.

Il nous apprend que l'on peut ressentir une émotion à la vue d'un pneu usé abandonné dans le caniveau aussi bien qu'à la vue d'une belle femme marchant dans les rayons du soleil.

Ses modèles sont des gens ordinaires, dans des situations de la vie quotidienne: un pompiste, une serveuse, un employé de supermarché. Ses photos nous disent:
" regardez autour de vous, regardez comme le monde peut être beau".

J'ai ressenti cela avec les photos de Saul Leiter également, un autre géant de la street photographie. Un poète de la rue.


Quelles sont vos projets, envies… ?

À l'heure où j'écris ces lignes, vingt de mes photos vont être exposées au Salon de la Photo dans le cadre des Zooms 2014 puisque j'ai remporté le Prix du Public. Cette exposition sera ensuite présentée au Salon de la Photo de Yokohama en février 2015.

J 'espère que çela débouchera sur des nouveaux contacts et des nouveaux projets.

Une exposition est normalement prévue au printemps à la Galerie du Pont Neuf à Paris qui m'a déjà exposé pendant deux semaines au mois de septembre.

Mes photos de Paris rencontrent un certain succès auprès d'un large public étranger sur internet alors J'aimerais qu'elles soient exposées un jour à Londres, à New-York ou en Asie.

J'aimerais qu'un éditeur s'intéresse à mon travail aussi.

Mais tout vient à point à qui sait attendre. Pour l'instant je vais continuer à descendre dans la rue et faire des photos. Je ne sais faire que ça.